C’est avec encore plus d’actualité que nous apparaît aujourd’hui le souvenir de la mort de Bobby Sands et de ses compagnons irlandais au terme d’une grève de la faim de plus de deux mois.
Et le lien entre Bobby Sands et ses compagnons, et les prisonniers palestiniens, est également historique, au cœur même de leurs histoires : ce sont tous et toutes des victimes du « glorieux » Empire britannique, de part et d’autre de la Méditerranée… L’Irlande ici et la Palestine là-bas, tous, « dommages collatéraux » de l’impérialisme britannique et de son infâme politique.
Pour être un prisonnier politique, est-il nécessaire d’être militant au sens « actif » du terme ? Rien n’est moins sûr. Il faut, mais il suffit, qu’un État vous arrête et vous incarcère en se fondant sur certains critères (culturels ,ethniques, religieux, politiques…), parce que vous représentez une communauté ou un groupe que cet État a décidé de combattre, d’exterminer, de traiter comme quantité négligeable, il faut, mais il suffit, d’être ouvertement victime d’un certain type de politique de la part d’un Etat.
Ainsi, aujourd’hui, sans que les médias mainstream semblent s’en préoccuper, sans que « l’opinion publique » s’en préoccupe, ailleurs dans le monde, en Israël, d’autres prisonniers politiques protestent contre leurs geôliers, protestent contre le sort qui leur est réservé, notamment plusieurs centaines, voire même plusieurs milliers de prisonniers palestiniens (selon Le Monde soit près d’un tiers des détenus officiellement déclarés par Israël).
Une dizaine d’entre eux seraient désormais aux portes de la mort, au bord du décès, après près de deux mois de grève de la faim soutenue (A la prison de Ramleh).
C’est donc avec une émotion et une attention toutes particulières aujourd’hui que nous pensons à Bobby Sands, Patsy O’Hara, Michael Devine… et plusieurs autres militants de l’IRA, qui n’avaient pas 30 ans et qui ont défendu leurs droits et leurs libertés, leurs idées jusqu’au bout, c’est à dire jusqu’à l’extrême limite de ce que leurs corps leur a permis de supporter.
Et en songeant à ces jeunes combattants d’Irlande du Nord, nos esprits et nos cœurs se tournent de toutes leurs forces vers ces prisons israéliennes et vers la Palestine occupée où des êtres humains poussent à leur tour leur combat pour la dignité et la liberté jusqu’au bout de leurs limites.
Honte aux États et aux gouvernements qui laissent mourir des prisonniers politiques en prison.
mardi 8 mai 2012 – 09h:08
Collectif Bellaciao
Ouvrez les centres de rétention, ouvrez les prisons israéliennes et libérez les prisonniers palestiniens.
Khader Adnan : le Bobby Sands de Cisjordanie
lundi 20 février 2012
Donald Macintyre
Ce n’est qu’après avoir parlé avec lucidité et animation pendant une heure de la grève de la faim, depuis 61 jours, de son époux que les yeux de Randa Jihad Adnan, visibles par l’ouverture de son niqab, se sont remplis de larmes. Jusque-là, s’exprimant parfaitement, cette femme de 31 ans, diplômée en droit de la sharia de l’université Al Najar de Naplouse, enceinte et maman de deux petites filles âgées de quatre ans et un an et demi, a décrit avec une aisance déconcertante les deux mois qui ont suivi l’arrestation de son époux, Khader Adnan, le 17 décembre.
Il a été enlevé à 3 h 30 ce matin-là par une vingtaine de soldats et membres de la sécurité d’Israël qui avaient encerclé le domicile familial, dans un village de Cisjordanie, au sud de Jénine, et il est aujourd’hui détenu dans l’hôpital israélien de Rebecca Ziv à Safed. Mercredi, elle a été autorisée à le visiter, avec leurs enfants et son beau-père.
Ils l’ont trouvé affaibli et extrêmement amaigri, la barbe ébouriffée et les ongles longs. Il était menotté des deux jambes et d’un bras à son lit, et était relié à un moniteur de fréquence cardiaque. Bien que d’esprit alerte, il ne parlait qu’avec difficultés. « J’ai été choquée » a-t-elle dit hier. « Je n’ai pas pu parler pendant trois minutes, et c’était pareil pour mes filles ».
Mme Adnan est convaincue que les autorités israéliennes ont autorisé sa visite simplement parce qu’elles voulaient que la famille fasse pression sur le mari pour qu’il mette fin à sa grève de la faim. Cette grève, il l’a commencée le 18 décembre en protestation de son arrestation, de son traitement et de l’ordonnance de détention qui a suivi à son encontre.
« Mon beau-père lui a dit : »Nous voulons que tu restes vivant. Tu ne peux pas vaincre cet État à toi tout seul« . Il lui a dit vouloir qu’il arrête sa grève. Moi je lui ai dit que je souhaitais qu’il boive une tasse de lait. Mais lui a répondu : « Je ne m’attendais pas à cela de vous. Je sais que vous êtes avec moi tout le temps. S’il vous plaît, arrêtez. » Mme Adnan a dit hier : « Je connais mon époux. Il ne changera pas d’idée. Je m’attends à ce qu’il meure. »
La veille de la visite, une délégation de la Croix-Rouge est venue chez elle pour l’avertir que le cœur de son époux pouvait lâcher « à tout instant ». Ils lui ont dit qu’il souffrait d’atrophie musculaire, ce qui affectait son cœur et son estomac, que son pouls était faible, et que sa vie était désormais en extrême danger.
L’organisation Médecins pour les droits de l’homme a produit un rapport médical cette semaine à l’appui d’un dossier devant la Cour suprême pour le faire libérer. Dans ce rapport, le groupe affirme que même si Mr Adnan avait accepté des injections de liquides et de sels minéraux, augmentés de glucoses et de vitamines, il avait refusé de mettre fin à sa grève de la faim et qu’il était « en danger de mort immédiat ». Le rapport ajoute qu’un jeûne « qui dépasse les 70 jours ne permettait pas la survie ».
Le dossier devant la Cour suprême, qui n’a fixé aucune date d’audience, est l’ultime chance pour lui sauver la vie, Mr Adnan ayant déclaré qu’il n’arrêterait son jeûne que lorsqu’il serait dispensé de ses quatre mois de détention administrative. Une cour d’appel militaire a décidé cette semaine qu’il devait rester en détention jusqu’au mois de mai.
Mr Adnan, 33 ans, diplômé en mathématique et gérant d’une boulangerie près de Qabatya, a longtemps été actif en politique. Il a été accusé d’être le porte-parole du Jihad islamique, l’une des factions palestiniennes les plus militantes. Et il a été arrêté à plusieurs reprises par Israël, et une fois au moins, par l’Autorité palestinienne, alors qu’il menait une manifestation d’étudiants en 1999 à l’université de Bir Zeit contre la venue du Premier ministre français, Lionel Jospin.
Mais sa famille insiste sur le fait qu’il n’a jamais été impliqué dans la violence ; jamais il n’a été inculpé pour cela. D’ailleurs, dans le cas présent, il n’est même accusé d’aucun crime. Sa grève de la faim attire une attention grandissante sur la pratique des détentions administratives, par lesquelles les Palestiniens peuvent être gardés en détention, sans jugement, et sur la base de dossiers des services secrets non communiqués au défendeur et à ses avocats.
Avec des groupes internationaux comme Human Rights Watch exigeant sa libération, et des manifestations quasi quotidiennes qui le soutiennent devant le tribunal militaire d’Ofer près de Ramallah, son cas a vite pris certaines des résonances politiques de Bobby Sands, le plus célèbre des dix prisonniers de l’IRA morts après une grève de la faim dans une prison d’Irlande du Nord, au début des années quatre-vingt. Sands, député élu, est décédé après 66 jours sans nourriture.
Avec sa plus grande fille, Maali, devant une affiche de son époux qui proclame, « Je rejette la détention administrative et je continuerai la grève de la faim jusqu’à ce que je sois libéré », Mme Adnan le dit déterminé à poursuivre son jeûne. Sa détermination s’est renforcée, dit-elle, non seulement à cause de son arrestation sommaire et ses circonstances (il a été enlevé dans les toilettes) mais aussi de son traitement durant son interrogatoire. Elle affirme que son époux a été maintenu pendant des périodes de sept heures – entrecoupées d’une pause d’une heure – sur une petite chaise avec les mains attachées derrière le dos ce qui lui causait une gêne intense, et que des touffes de barbe lui avaient été arrachées par ceux qui l’interrogeaient.
Elle dit aussi qu’il a été soumis à des pressions psychologiques, que ses avocats lui ont dit à elle qu’il avait protesté lors de l’une de ses comparutions devant le tribunal militaire. « Ils lui ont tenu de mauvais propos à mon sujet. Ils disaient, « Votre femme n’est pas pure« . Ils lui disaient, « Maintenant que vous avez été arrêté, elle est libre de faire n’importe quoi« ». Elle affirme qu’il lui a dit qu’au tribunal militaire, l’un des interrogateurs avait reconnu devant lui par la suite, « Nous savons que vous aimez votre femme et qu’elle vous aime. C’est pour cela que nous avons dit ces choses contre elle ».
Mme Adnan, qui dit que son époux a déclaré à plusieurs reprises, « Mon honneur est plus précieux que la nourriture », a ajouté que son seul espoir maintenant était qu’Israël décide de « redorer son image dans le monde en le libérant ». Elle dit que c’est à lui, Khader, de prendre la décision ultime, et que quand elle l’exhorte à boire du lait, elle lui transmet surtout « un message de sa mère. »
La sœur d’Adnan, qui s’appelle aussi Maali, a timidement reconnu que, peut-être, son frère pourrait encore être persuadé qu’il avait fait assez pour transmettre au monde son message de protestation contre l’usage de la détention administrative, sans jugement ni inculpation. Mais, en disant que Mr Adnan est un père modèle qui « aime la vie », elle ajoute, « Je ne suis pas certaine qu’il veuille juste délivrer un message. Il veut aussi en finir avec la détention administrative. Nous avons tellement foi en Allah pour qu’il le sorte de cette situation. Nous croyons que Dieu ne l’abandonnera pas ».
Randa Adnan a rappelé que son époux a déclaré à l’un de ses avocats : « je ne veux aller ni au néant ni à la mort. Mais je suis un homme qui défend sa liberté. Si je meurs, ce sera mon destin ».
* Donald Macintyre est correspondant à Jérusalem pour The Independent depuis 2004, dont il est le rédacteur en chef pour la rubrique politique, ainsi que pour The Independent du dimanche. Il a écrit pour le Daily Express, le Sunday Times, le Times et le Sunday Telegraph.
The Independent – traduction : Info-Palestine.net/JPP