Bruxelles, 1er mai 2015
Au nom des sans-voix, lettre ouverte sur la méga-prison de Haren
à : la Commission de concertation du Département urbanisme de la Ville de Bruxelles
Concerne : la fermeture des trois prisons bruxelloises et la construction de la méga-prison à Haren.
Mesdames, Messieurs,
Je m’adresse à vous en tant qu’ancien enseignant à la prison de Saint-Gilles, une des trois prisons bruxelloises que les autorités pénitentiaires veulent fermer pour les remplacer par une méga-prison à Haren.
S’adresser à votre commission semble être devenu un des seuls recours démocratiques dont disposent encore les citoyens de cette ville pour faire entendre leurs voix. Je vous en remercie. Tout en vous signalant que la voix des premiers concernés – les détenus, les ex-détenus, leurs familles – a été d’office exclue de tout le débat autour du Masterplan 2008-2016.
Dès lors, mon courrier veut aussi donner de la voix à ces sans-voix.
Pendant que vous menez votre consultation, nous recevons des signaux, venus de nos nombreux organes de pouvoir nationaux ou locaux, disant que tout est décidé. Qu’il n’y aura pas de marche-arrière quant aux décisions de fermeture et de construction. S’agit-il de décourager les milliers de personnes qui s’opposent à ce projet ? La démocratie consistera-t-elle à régler « les modalités des décisions prises » ?
Ainsi, je lis dans le Plan Justice du ministre de la Justice Geens, datant de mars 2015, qu’aussi bien « l’élargissement que la rénovation des prisons par l’exécution du Masterplan existant doivent être continués». Et, surtout, qu’une attention particulière ira vers « l’exécution prioritaire des projets à Haren, Dendermonde et Merksplas. » (Point 303 du Plan). Je lis dans la presse qu’en avril 2015, au conseil communal de Saint-Gilles, les discussions sur « l’après-prison-de-Saint-Gilles » ont déjà commencé. Qu’on y propose d’en classer une partie comme patrimoine historique, une autre partie pouvant servir comme logement, école ou crèche. Tout en « espérant » (sic!), comme l’a dit le bourgmestre Picqué, qu’il n’y aura pas de projet immobilier sur ce terrain.
N’y-a-t-il pas lieu de se poser des questions quant à la volonté des autorités d’avoir une vraie consultation démocratique ? Merci de me rassurer sur le fait qu’on ne participe pas à un semblant de démocratie.
Les arguments pour protéger la petite entité verte de Haren d’une nouvelle implantation mégalomane vous sont connus. Ils ont été suffisamment développés par d’autres personnes. J’aimerais partager avec vous trois arguments partant de la problématique carcérale, qui démontrent pourquoi s’opposer radicalement à la construction d’une nouvelle prison à Bruxelles est non seulement une question de bon sens, mais un devoir social.
(photo plan de la future prison à Haren)
D’abord, je voudrais contredire l’argument humanitaire qui prétend qu’aussi bien la fermeture des trois prisons que la construction de la nouvelle à Haren se feraient pour le bien-être des détenus. Tout le Masterplan 2008-2016, dont Haren fait partie, serait en effet une réponse – je cite – à « la surpopulation carcérale et à la vétusté des prisons en créant une infrastructure carcérale plus humaine ». L’unique argument avancé pour la construction à Haren a été, et est toujours, la vétusté des trois prisons à Bruxelles. Le Conseil des Ministres du 14 décembre 2010 a décidé – je cite – « la fermeture pour 2016 des prisons très vétustes à Forest, Saint-Gilles et Berkendael, qui seront remplacées par une nouvelle institution à Haren ». Je vous démontrerai que c’est un argument mensonger pur et simple et que les vrais problèmes se trouvent ailleurs.
Deuxièmement, je voudrais argumenter que la construction d’une nouvelle prison n’est pas non plus la réponse aux problèmes sociaux auxquels Bruxelles est confrontée. Au moment où je vous écris ces lignes, le treizième Congrès de l’ONU sur la prévention du Crime et sur la Justice pénale vient de clôturer ces travaux (1). Il recommande à tous les Etats de réduire leur nombre de détenus. Le Congrès propose des solutions et des sanctions « hors prison » pour « réduire la surpopulation carcérale ». Il recommande de mettre en œuvre des « politiques et programmes sociaux » qui peuvent « réduire la criminalité et la violence ».
Cet appel ne s’adresse pas seulement aux Etats-Unis ou à la Russie. Mais aussi à la Belgique et particulièrement à Bruxelles.
(photo Nato headquarters)
Enfin, si ce ne sont pas les détenus, ni les quartiers populaires de Bruxelles qui profitent de la construction de nouvelles prisons, qui en profite ? A travers la construction de nouvelles prisons on assiste à une politique de privatisation des services publics. Les centaines de millions d’euros prévus pour la construction, le loyer et les services, à payer par l’Etat aux constructeurs de ces nouvelles prisons, garantissent à ces sociétés privées des contrats à long terme et des profits gigantesques. Cela servira aussi à augmenter le prestige international de Bruxelles. Avec la construction de Haren, Bruxelles disposera non seulement d’un nouveau siège mastodonte de l’OTAN et d’un quartier européen pharaonique, mais aussi d’un « village pénitentiaire » hypermoderne et de haute technologie. Je plaide pour que ces centaines de millions d’euros soient investis dans les secteurs qui s’occupent de la formation, de la santé, de l’aide psycho-sociale, du sport et de la culture, dans nos prisons. La situation à ce niveau-là est tout simplement catastrophique depuis des décennies. Le tout récent rapport du CAAP sur la période 2013-2014 montre que rien n’a changé.
(photo prison de Saint-Gilles)
Premier point : la vétusté de la prison de Saint-Gilles, un mensonge d’état.
Je m’oppose à la présentation de la prison de Saint-Gilles comme « prison vétuste ». C’est l’argument qui nous obligerait à construire une nouvelle prison. Mais c’est l’inverse. Le point de départ est Haren, et non Saint-Gilles. On propage l’argument que Saint Gilles est vétuste, insalubre, et donc inhumaine, indigne et que sais-je encore, afin de pouvoir justifier la construction de Haren. Pour pouvoir bannir les prisons de la ville. Pour boucler la bouche de tous ceux qui sont sensibles au sort des détenus, mais qui aimeraient en même temps s’opposer à la construction d’une nouvelle prison.
Ceci est tout simplement un procédé indigne.
Le problème de la prison de Saint-Gilles n’est ni une question de lieu, ni une question d’infrastructure.
Je me base sur ma propre expérience en tant qu’enseignant dans des locaux des ailes C et A dans cette prison. Et je défie les autorités de lancer un sondage à ce sujet parmi les associations actives dans les prisons, parmi le personnel, parmi les détenus et leurs familles. Ils confirmeront mon point de vue ; ils vous diront qu’ils préfèrent cette vieille prison à une nouvelle aseptisée et feront peut-être apparaître les vrais problèmes.
Des énormes travaux ont été entrepris à la prison de Saint-Gilles pendant ces dernières années. Je prends à témoin les rapports du ministère de la Justice, datant de 2012.(2) C’est-à-dire deux ans après la décision de fermeture prise par le gouvernement. Là, on peut lire que « quatre ailes de la prison ont reçu un traitement de rénovation avant 2009 », que « par la suite, les travaux d’une rénovation lourde de l’aile B de la prison ont débuté et se sont achevés en 2012 ». Que « ces travaux ont permis, non seulement la rénovation de l’aile, mais également d’augmenter la capacité des cellules ». « L’aile B comprend maintenant 100 nouvelles cellules individuelles, 4 salles polyvalentes, 3 salles d’attente, 5 bureaux et 18 douches ». « L’ensemble de la structure portante a donc été mise à nu, avant d’être vérifiée, consolidée et adaptée au programme des besoins de l’occupant. L’aile répond maintenant aux normes relatives, entre autres, à l’hygiène et au confort attendus d’un tel établissement ».
Les autorités pénitentiaires ont entrepris un programme de renouvellement qui a répondu « à l’ensemble des obligations réglementaires dignes d’une prison moderne ». Ces mêmes autorités ont élargi la prison en créant 45 cellules supplémentaires dans l’aile et en construisant une extension de haute sécurité à l’aile B. Ce nouveau bâtiment comprend « six cachots avec éclairage naturel zénithal et ventilation double flux, nécessitée par le confinement obligatoire de chacune des pièces occupées. Chaque cachot dispose d’un lit en béton, d’une toilette en inox dont la chasse se trouve à l’extérieur, et d’une porte « américaine » disposant d’une trappe par laquelle on passe les menottes aux détenus. L’ensemble est entièrement réalisé en béton lissé. Il dispose d’un coin douches ; de deux parloirs avocats ; de quelques pièces de rangement ; de huit préaux individuels pour détenus récalcitrants. Les surfaces ajourées en toiture sont grillagées, et les filets tendus entre préaux individuels empêchent tout échange entre détenus pendant la promenade ; un local avec vision à 360° permet la surveillance concomitante des préaux individuels et communs ».
Dans sa réponse aux questions du Comité pour la Prévention de la Torture de l’Europe (CPT) de décembre 2012, le gouvernement belge a même répondu (3), je cite : « Grâce à l’ouverture de l’aile B de la prison de Saint-Gilles et la fin du quota (mis en place à l’intérieur de celle-ci depuis 2003), l’Administration pénitentiaire dispose d’une plus grande marge pour équilibrer la surpopulation entre la prison de Forest et la prison de Saint-Gilles ». Le gouvernement y prétend même pouvoir gérer la surpopulation et pouvoir « maintenir la population à un seuil tolérable, soit environ 600 détenus à Forest, et environ 850 détenus à Saint-Gilles ».
Ou bien tout ce qui précède n’est que du vent.
Ou bien c’est vrai, et alors on se demande : où en est-on avec l’argument de vétusté et d’insalubrité ? Que l’environnement de cette vieille prison doit être amélioré, il n’y a pas de doute. Mais si le conseil communal de Saint-Gilles veut y installer « une école, une crèche, des logements, ou, on ne l’espère pas, un hôtel quatre étoiles », pourquoi cette prison ne pourrait-elle pas être plus aménagée en prison décente pour des détenus ?
Mesdames, messieurs,
Vous savez comme moi que la prison de Saint-Gilles est aussi la seule en Belgique, avec celle de Bruges, qui héberge un des deux centres médico-chirurgical (CMC) pour détenus, aussi venant de prisons de tout le pays. Ce CMC a été renouvelé lui aussi. Il dispose de la possibilité d’hospitalisation, il y a un bloc opératoire et des services orthopédie, ORL, chirurgie générale, chirurgie maxillo-faciale, urologie.(4)
Pour quelle raison autre que la volonté de construire un village pénitentiaire hors de Bruxelles, pourrait-on détruire et condamner tout cela ?
Les vrais problèmes de la prison de Saint-Gilles (et de ceux de Forest) se trouvent ailleurs.
Ils résident tout d’abord dans le fait que ces prisons sont des maisons d’arrêt. La prison de Saint-Gilles a commencé à héberger aussi des détenus en exécution de peine, mais le gros de la population carcérale est composé de détenus en détention préventive. Des détenus non jugés et donc présumés innocents. Ou qui sont en attente d’un jugement devant la Cour d’appel ou de cassation. Or, les maisons d’arrêt, comme le dit Didier Fassin dans son œuvre « L’ombre du monde »(5) sur les prisons françaises, « cristallisent l’essentiel de la problématique carcérale…Elles assurent la totalité de la charge occasionnée par la surpopulation carcérale ».
C’est exactement la même situation en Belgique où le taux de détention préventive est même supérieur à celui de la France. Les derniers chiffres de février 2015 du Conseil de l’Europe, dans son rapport sur 49 pays, intitulé « Les statistiques pénales annuelles pour l’année 2013 »6 indiquent qu’en Belgique 26,2 % de la population carcérale est incarcérée sans qu’il y ait un jugement final, tandis qu’en France il s’agit de 21,4 %.
Deuxièmement, les conditions dans les maisons d’arrêt où ces détenus se trouvent sont en général dix fois pires que celles des prisons d’attache ou pour peine. Cela veut dire : pas de respect du principe d’un détenu par cellule, enfermement de 22 à 23 heures sur 24, quasi pas d’accès à un emploi au sein de la prison, ni à une formation professionnelle, ni à un suivi d’enseignement, ni à des activités de sport ou de culture. Peu de chances d’être pris en charge par un service d’insertion ou de soins, dépassé par la quantité de dossiers. Comme l’écrit Didier Fassin : « De manière structurelle, la condition carcérale du prévenu, qui peut rester pendant des années en attente de son procès ou de son appel, est ainsi à bien des égards plus défavorable que celle du condamné ». Et il cite un directeur d’une maison d’arrêt qui dit : « (la surpopulation carcérale), c’est ça la première violence institutionnelle que l’Etat impose aux prisons ».
Cette « première violence institutionnelle » a ses conséquences dans le comportement violent d’une partie des forces de l’ordre et des gardiens. Vous avez certainement entendu que la semaine passée, le 23 avril, neuf policiers bruxellois étaient sur le banc des accusés pour des violences commises contre des détenus à la prison de Forest. Le jugement suivra le 28 mai. L’année passée, en janvier et en avril, j’ai publié, à la demande de détenus, deux plaintes émanant de 43 détenus (signées, avec noms et prénoms, date de naissance et numéros de cellule) contre la violence et la maltraitance dont ils étaient victimes de la part de gardiens à la prison.7 Cette semaine, une instruction judiciaire a été ouverte contre un groupe de gardiens de l’aile D à la prison de Forest, surnommés « les SS ». « Pour violences graves et répétées contre des détenus », déclarait la porte-parole du Parquet. Selon la Commission de surveillance de la prison, il s’agit de pratiques (humiliations, intimidations, maltraitances physiques..) qui sont en cours « depuis des années ».
Si on veut vraiment se soucier du bien-être des détenus, il ne faudra pas un nouveau lieu. Il faudra s’attaquer à ces problématiques mentionnées plus haut. S’engager dans un processus de désincarcération. Avec comme objectif : mettre fin à la surpopulation carcérale, causée, entre autres, par l’utilisation systématique de la détention préventive ; mettre les détenus dans les annexes psychiatriques à Forest dans des institutions de soin ; libérer tous les malades, personnes âgées, femmes et autres personnes, qui ne constituent aucun danger pour la société ; appliquer la fameuse loi Dupont sur les droits des détenus, qui reste toujours lettre morte, en créant de l’espace, des locaux, des infrastructures, et en assurant des droits élémentaires aux détenus au sein de ces maisons d’arrêt. Le ministère de la Justice et son service pénitentiaire le savent. Mais ils cherchent invariablement la réponse dans l’élargissement de la capacité carcérale en construisant des nouvelles prisons.
Deuxième point : Etat social ou Etat pénal : trop de détenus dans les prisons ou trop peu de prisons ?
Le tournant punitif et répressif en Belgique, comme pour la plupart des pays européens, date des années 1970 et 1980. Depuis, le nombre de détenus n’a fait qu’augmenter, pulvérisant tous les records année après année : de 5.176 en 1980, à 10.320 en 2009, 11.330 en 2012, et 12.697 en 2013.8
Ainsi, en 10 ans de temps, entre 2003 et 2013, la population carcérale en Belgique a augmenté de 35,6 %. Si le taux de détention en Belgique était de 93,5 sur 100.000 personnes en 2010, il est de 113,8 en 2013. Force est de constater qu’au lieu de résoudre les problèmes – souvent complexes – de la pauvreté et du racisme, nos gouvernements successifs ont choisi de punir les pauvres. Parce que, qui est visé par ce tournant punitif ? Comme le dit Didier Fressin : « La solution carcérale s’applique de façon préférentielle et arbitraire aux populations socialement défavorisées et ethniquement discriminées, notamment dans les périodes de difficultés économiques et d’accroissement des inégalités ».
Il suffit de consulter quelques statistiques qui le prouvent : 75% de la population carcérale en Belgique est originaire d’une famille dont le père est ouvrier, chômeur ou inconnu. Il suffit de mettre un pied dans la prison de Saint-Gilles, de Berkendael ou de Forest pour constater la présence hors proportion des « populations ethniquement discriminées ». Parfois, quand j’allais donner cours, je croisais le rang aligné des détenus menottés dans le couloir de la prison pour être transportés pour une audience au Palais de Justice. Avec le nombre présent de personnes issues de l’immigration dans ces rangs, je me croyais aux Etats-Unis, où là, ce sont les Noirs qui sont surreprésentés au sein de la population carcérale.
En mai 2009, j’ai rencontré le ministre de la justice Stefaan De Clerck à l’entrée de son activité « Prison Make », où il lançait le fameux Masterplan. C’était l’année où on fêtait les vingt ans de la Région bruxelloise. L’année aussi où des sociologues de l’ULB, sous l’égide de la Fondation Roi Baudouin, publiaient une étude sur les performances scolaires en lecture, mathématiques et sciences, des élèves de 15 ans dans 57 pays. La conclusion adressée à la Belgique mais en particulier à Bruxelles était accablante : « Aucun autre pays industrialisé ne présente un fossé aussi grand entre les élèves issus de l’immigration et les autres, et les résultats obtenus par les élèves d’origine étrangère sont parmi les plus faibles du monde développé ». J’ai donc eu un bref échange avec le ministre. Je lui ai dit que Bruxelles n’a pas besoin d’une nouvelle prison, mais d’un masterplan pour les quartiers populaires, créant des emplois, des écoles, des hôpitaux, des logements. Et il m’a répondu : « Ce n’est pas de ma responsabilité, ce sont mes collègues qui s’occupent de ces matières ».
Ce refus de faire le lien entre les phénomènes m’exaspère.
Sept ans plus tard, on a déjà construit quatre nouvelles prisons dans ce pays 9. Mais la situation au niveau social est restée au même point et a même empiré.
Ainsi, selon les chiffres du SPF Economie de décembre 2014, sept (!) communes bruxelloises se trouvent dans le top dix des communes les plus pauvres en Belgique10.
Je pourrais y ajouter quelques citations qu’on peut régulièrement trouver dans la presse sur la situation des jeunes au niveau de l’emploi, et qu’on intitule « la génération perdue de Bruxelles ». « La statistique la plus inquiétante peut-être, pour Bruxelles, révèle que 35% des 0-17 ans grandissent dans des ménages sans aucun revenu du travail… ». On y parle de « l’effet du chômage endémique de la jeunesse bruxelloise sur une violence grandissante ». « Molenbeek afficherait le taux dramatique de 40% de chômage chez les jeunes ! Aucune autre capitale européenne ne présente un tel bilan. Depuis 2000, impossible pour Bruxelles de descendre en-dessous du taux de 30% de chômage chez les jeunes. C’est plus du double de la Flandre et plus que la moyenne européenne ».
Je pourrais y ajouter les besoins grandissants en logements, crèches, écoles.
Vraiment, de qui se moque-t-on en disant qu’on a besoin d’une nouvelle méga- prison à Bruxelles ?
Pour finir, les vrais problèmes des prisons se trouvent à l’intérieur des prisons et non dans leurs façades.
La publicité scandaleuse pour les nouvelles « prisons-hôtels quatre étoiles » – autant de la part du monde politique et de l’administration pénitentiaire que de la part des firmes concernés – sert à camoufler la réalité choquante à l’intérieur des prisons, qu’elles soient vieilles ou neuves.
Les prisons sont d’abord une concentration de maladies. En novembre 2013 se tenaient au parlement belge les Etats généraux sur la prison à l’initiative du Conseil central de Surveillance pénitentiaire. Le professeur Cosyns, de l’Universitair Forensisch Centrum Antwerpen, y tenait un exposé sur les soins de santé au sein des prisons belges. Il nous informait du fait que le taux de tuberculose dans les prisons est de 16 fois supérieur au taux dans le pays ; du sida de 5 fois ; de l’hépatite C de 7 fois, de psychose de 5 fois, de suicide de 6 fois, de problème d’alcoolisme ou autres drogues de 7 fois, de l’expérience de consommation de l’héroïne de 54 fois.
Pas plus que six mois après cette conférence, on apprend que cette situation dramatique n’est tout simplement pas prise en main. Quatre cents médecins indépendants travaillant dans les prisons se mettent en grève durant presque trois semaines parce qu’ils sont « mal ou pas payés, déconsidérés, usés… » (11). Les médecins ne sont tout simplement plus payés depuis des mois, suite à de sévères économies dans le secteur. En ce qui concerne « les lois qui garantissent des soins de santé équivalents pour les détenus », disent-ils, « ce sont de beaux principes qui sont mal mis en application parce que l’argent est la priorité et les économies de budget passent au-dessus des lois ».
Il ne s’agit pas seulement des médecins.
Pour les 6000 détenus en Bruxelles et Wallonie, il n’y a que 8 (!) équivalents plein-temps qui s’occupent des activités de promotion de la santé et de prévention au sein des prisons. A Lantin (actuellement la plus grande prison de Belgique, qui ne sera dépassée que par Haren), on dispose de deux psychologues pour plus de mille détenus, et la liste d’attente pour un suivi psychologique y est de 4 à 5 mois. Pour les plus de 700 détenus des prisons d’Ittre (sa construction date de 2002) et de Nivelles (rénovée complètement et agrandie de deux nouvelles ailes pendant les années 1990), la liste d’attente peut dépasser l’année ! Tout cela, vous pouvez le lire dans le récent rapport de 47 associations professionnelles actives dans les 18 prisons de Bruxelles et de Wallonie, réunies au sein de la CAAP.(12)
Ces associations s’occupent de la formation, de la santé, de l’aide psycho-sociale, de la culture, du sport, de la préparation à la sortie.
Quant à mon secteur de l’enseignement, on peut y lire qu’un tiers des 6000 détenus est analphabète, que 45 % des détenus ne disposent pas d’un diplôme CEB, que 19 % seulement disposent d’un diplôme de secondaire inférieur et 4 % d’un diplôme de secondaire supérieur. Que 75 % des détenus ne disposent d’aucune qualification. Or le constat de ce rapport est sans appel : il n’y a pas les moyens, ni le personnel, ni les locaux, ni d’offre commune de formation dans les prisons, ni la reconnaissance de l’importance de ce travail.
Ainsi, pour 2000 analphabètes il y a en tout 354 places dans les cours d’alphabétisation et alpha/langues étrangères. Pour les 4500 détenus sans aucune qualification, il n’y a de la place en formation générale que pour 16 % parmi eux, situation pire en formation professionnelle avec des places disponibles pour seulement 6,8 % des détenus.
Mesdames, messieurs,
Face à cette réalité révoltante au sein des prisons, je pense que vous m’accorderez que la construction de nouvelles prisons n’est ni la réponse aux problèmes sociaux à régler d’urgence dans notre société, ni aux problèmes auxquels sont confrontés les détenus dans nos prisons surpeuplées.
Un Stop ! de votre part obligera les autorités concernées à résoudre les vrais problèmes, au lieu de s’occuper des façades.
Avec mes salutations distinguées,
Luk Vervaet
Notes