Le vendredi 22 juillet, le tribunal de première instance de Bruxelles, siégeant en référé, a entendu la plainte de Nordine Benallal contre l’Etat belge sur son enfermement en isolement. Par l’intermédiaire de son avocat, Maître Joke Callewaert, Nordine demande au tribunal de mettre fin à son enfermement dans la section spéciale AIBV (‘Afdeling voor Individuele Bijzondere Veiligheid’) ou QMSPI (‘Quartiers de Mesures de Sécurité Particulières Individuelles’) de la prison de Bruges, où il se trouve depuis 9 mois. Il demande à pouvoir bénéficier d’un régime carcéral normal, pouvoir étudier et travailler comme les autres détenus. Il demande au tribunal de condamner l’Etat belge à 1000 euros d’amende par jour au cas où celuici n’appliquerait pas le jugement du tribunal.
Ce jugement est attendu pour le 29 juillet.
A l’audience, l’avocate de l’Etat belge a plaidé pour le maintien de Nordine dans la section spéciale de Bruges. Elle a mis en lumière, une fois de plus, la politique carcérale de l’Etat belge qui se résume en un mot : la sécurité. Ou mieux, en deux mots : la haute sécurité.
Sa défense avec ferveur, même avec enthousiasme, des sections et des conditions d’isolement dans notre pays laissait croire qu’elle y avait passé toute son enfance (heureuse bien entendue). Mais je suis certain que l’avocate de l’Etat belge n’a jamais mis un pied dans une de ces institutions.
De l’EBI aux Pays-Bas …
En octobre 2007, Nordine Benallal, qui avait alors 27 ans, s’évade de la prison d’Ittre. Quelques jours après, il est arrêté aux Pays-Bas pour vol de moto à main armée. Pour ce délit, il est condamné à 4 ans de prison. Non pas pour les faits commis, mais sur base de sa réputation en Belgique, celle d’un ‘criminel extrêmement dangereux’ et de ‘Roi de l’évasion’ (4 évasions en 14 ans de prison). Il est enfermé dans l’EBI (la « Extra Beveiligde Inrichting », Prison de Haute Sécurité) de la prison de Vught aux Pays-Bas. L’EBI de Vught a ouvert ses portes en 1997. Une section supplémentaire y a été ajoutée en 2006 (la TA ou Terreur Afdeling, Section Terreur) pour y isoler les accusés ou condamnés pour terrorisme. Nordine restera incarcéré dans l’EBI pendant trois ans, jusqu’à son transfert en Belgique en novembre 2010.
…. à l’AIBV en Belgique
Dès son arrivée en Belgique, Nordine Benallal est immédiatement incarcéré à l’AIBV de Bruges, formule belge de Prison de Haute Sécurité.
A l’audience, l’avocate de l’Etat belge disait que la Belgique ne connaissait pas « l’enfermement en isolement ». « Cela n’existe tout simplement pas », disait-elle. Pour elle, l’isolement commence seulement au moment où on est enterré vif. Tant qu’on peut encore écrire une lettre, sortir pour prendre une douche, recevoir une visite, même si c’est derrière une vitre…on ne se trouve pas en isolement. En plus, a-t-elle dit, et ceci a provoqué un cri dans la salle d’audience : « Nordine peut jouer au ping pong ». Quand l’avocate de la défense lui a répondu qu’il faut être à deux pour jouer, elle a répliqué, en s’adressant au juge : « Monsieur le président, vous savez bien que les meilleurs champions s’entraînent tout seuls » !
En réalité, depuis vingt ans, le régime de mise en quarantaine de détenus jugés dangereux sous un régime spécial d’isolement dans nos prisons, est le sujet d’un combat entre détenus, avocats et organisations des droits de l’homme d’un côté, et, de l’autre, l’Etat belge et l’administration pénitentiaire de l’autre
Déjà, pendant les années 80 du siècle passé, il existait ‘le bloc U’ à Lantin, une section de sécurité spéciale pour les détenus jugés dangereux. Le bloc U a été fermé par décision d’un tribunal qui déclarait ce régime cellulaire illégal du fait qu’il n’y avait pas de base légale et que ce régime était contraire à l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Le gouvernement a ensuite créé les QSR (Quartiers de Sécurité Renforcée) à Bruges et Lantin en 1994. Cette fois-ci, la base légale y était et se trouvait dans un arrêté royal de 1993, qui stipulait les critères à remplir pour procéder à un transfert vers un QSR, tout en précisant que le placement ne peut pas durer plus de six mois et que le séjour dans le QSR doit faire l’objet d’une évaluation régulière. Coup de tonnerre quand un arrêt du Conseil d’Etat du 21 février 1996 oblige l’Etat à fermer ces sections et à abandonner ce projet. Parmi les raisons de cette fermeture voulue par le Conseil d’Etat : la loi ne prévoyait pas un régime distinct pour les condamnés, les non-condamnés et les mineurs. Après ce nouvel échec, le ministère de la Justice et l’Administration pénitentiaire ne lâchent pas et, 10 ans après, en 2008, ils reviennent avec les sections de haute sécurité AIBV/QMPSI à Bruges et à Lantin. Cette fois-ci tout est prévu : « Contrairement aux anciens QSR, qui avaient pour but l’hébergement de prévenus ou condamnés réputés dangereux en raison du délit commis, du risque d’évasion, ou du comportement pendant la détention, les AIBV/QMPSI sont spécifiquement destinés à l’hébergement de détenus masculins condamnés difficilement maîtrisables, parce que présentant des problèmes comportementaux extrêmes et persistants, s’accompagnant d’agressivité envers les membres du personnel et/ou les codétenus » (Citation du rapport du Comité pour la Prévention de la Torture sur la Belgique, publié en juillet 2010, page 42).
Mais que constate le CPT lors de son inspection en 2009, c’est-à-dire 18 mois après l’ouverture des AIBV/QMPSI ? Que ces sections sont utilisées exactement comme avant : « le projet initial – la création d’unités spécialisées pour le traitement des détenus présentant une agressivité extrême…- avait déjà été largement détourné de son objectif. » Pour prouver sa thèse, le CPT compte les hommes présents dans cette section : « en 2009, sur les 8 détenus se trouvant dans l’AIBV de Bruges, seulement 3 répondent aux critères, et sur les 9 détenus dans le QMPSI à Lantin, seulement 3 répondent aux critères ! » (pg 43). Et le CPT conclut : « Le CPT recommande aux autorités belges de mettre immédiatement fin au placement de détenus qui ne correspondent pas aux critères d’admission prévus. A défaut, le projet QMSPI sera, de l’avis du CPT, voué à l’échec. » (pg 43). Cette recommandation n’ a servi à rien et l’enfermement de Nordine Benallal, qui ne correspond clairement pas aux critères d’admission dans les QMSPI, en est la preuve. Dans leur communiqué de presse du 24 juin 2011, la Ligue des Droits de l’Homme et l’Observatoire International des prisons demandent la fermeture pure et simple de ces AIBV/QMSPI.
Bientôt dix mois…
Non seulement il n’y a pas sa place, mais il a déjà dépassé largement la durée raisonnable de séjour de 6 mois dans cette section.
D’abord, on ne peut pas effacer le fait que Nordine a déjà passé 3 ans d’isolement en Hollande. Là-dessus, l’avocate de l’Etat belge déclare, sans surprise, que la Belgique n’avait rien à voir là-dedans et qu’elle ne porte aucune responsabilité. Pour l’avocate, dès son retour, la Belgique pouvait donc mettre Nordine Benallal en haute sécurité à Bruges comme si la période antérieure de trois années n’avait pas existé.
A la critique que Nordine s’y trouve déjà depuis 9 mois, l’avocate répond par un simple truc administratif : les périodes maximales sont respectées, parce que la mesure est à chaque fois reformulée et remotivée correctement. Il est intéressant de lire, dans le rapport du CPT, que les directeurs et le personnel avaient déclaré aux responsables du CPT, je cite, « Selon la direction et le personnel, l’expérience a également montré qu’un séjour au sein du QMSPI de plus de six mois s’avérait généralement contre productif… » Mais pas pour Nordine Benallal ?
L’avis du psychiatre
Enfin, il y a l’avis médical sur le maintien ou non d’un détenu dans cette section.
Dans son dernier rapport, le psychiatre de l’Etat belge à l’AIBV, Nils Verbeek, donne un avis négatif sur le maintien de Nordine Benallal dans l’AIBV. Mais là aussi, l’avocate met cet avis de côté : « il ne s’agit que d’un avis », disait-elle, « ce n’est pas au psychiatre de décider ».
Pour l’exemple..
Il faut en conclure que, dans l’affaire Benallal, on n’est plus dans une discussion rationnelle sur la justice à rendre. Ni aux victimes, ni à l’auteur en lui offrant la possibilité de trouver une issue pour qu’un jour il puisse reprendre sa vie.
Il y a d’abord le fait que Nordine est déjà en prison depuis ses 17 ans, et que la plus grande partie des soixante ans de prison qu’il a récoltés pendant la dernière décennie sont liés à ses évasions de prison.
Quant à son traitement en prison, là aussi on est entré dans un autre registre. C’est comme si la question était devenue« qui va gagner : lui ou nous ? ». Il y a de l’esprit de vengeance et de l’acharnement chez les autorités judiciaires, contre un jeune type qui les a ridiculisés par ses quatre évasions, et dont on ne sait pas quoi faire à part l’enfermer et jeter la clé.
Comme Nizar Trabelsi, condamné pour terrorisme et maintenant sur le point d’être extradé vers les Etats-Unis, Nordine Benallal est devenu un rat de laboratoire. Tous deux doivent servir d’avertissement aux jeunes des quartiers populaires de Bruxelles.
Luk Vervaet