Stop à l’état de guerre, en Belgique comme à l’étranger !

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Interview Ramón Grosfoguel

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Interview Ramón Grosfoguel

Publié le Auteur Claude Rougier

Ramón Grosfoguel est professeur dans le département d’études ethniques de l’Université de Berkeley. Membre actif du réseau Modernité/colonialité dès ses débuts, aujourd’hui, il continue à agir pour décoloniser la pensée et le monde. L’interview qui suit est un extrait d’une conversation, en espagnol, qui sera mise en ligne sur Daily Motion

 

 

 

 

 

Claude Rougier : Dans « La inflexión descolonial », l’anthropologue colombien Eduardo Restrepo écrit qu’une des différences importantes entre les Post colonial Studies et les Estudios Descoloniales est que : « la pensée décoloniale est opératoire dans le champ théorique de la colonialité alors que la réflexion des auteurs postcoloniaux l’est dans le champ du colonialisme ». En quoi consiste cette différence entre colonialité et colonialisme ?

Ramón Grosfoguel. Le colonialisme est ce mouvement d’expansion européenne qui commence en 1492 et qui va usurper la souveraineté d’un peuple par des méthodes violentes : l’occupation militaire, l’exploitation brutale de la force de travail, comme c’est le cas avec l’esclavage et l’imposition d’une administration coloniale. Ce processus, qui a commencé il y quatre cent cinquante ans, a donné à l’Europe un privilège qui n’est pas seulement, économique mais aussi culturel et épistémologique. C’est à partir de cette expansion coloniale, que sont apparus des rapports de pouvoir qui n’ont pas disparu avec le colonialisme proprement dit.
Je veux parler de ces hiérarchies qui sont toujours en place aujourd’hui, alors que les administrations coloniales ont disparu presque partout sur la planète (n’oublions pas cependant Puerto Rico, la Palestine et d’autres parties du monde). Il s’agit de rapports de pouvoir qui s’exercent au niveau économique et politique : un type d’exploitation du travail indissociable du développement d’un capital financier central, qui correspond à la domination du Nord global sur le Sud global ; une forme d’autorité politique qui passe par l’organisation d’états-nations, l’état-nation étant cette chimère en vertu de la quelle identité d’un état et identité d’une population s’ajusteraient, ce qui n’est jamais le cas. Cet état-nation est un mécanisme essentiel de la domination à l’intérieur du système mondial actuel. Il existe d’autres hiérarchies, de type pédagogique, esthétique, linguistique, de type racial ou sexuel, de genre.
Toutes ces structures, qui ont leur origine dans une histoire coloniale, ne disparaissent pas avec celle-ci. Elles constituent ce que l’on s’accorde à nommer l’Occident, et grâce à toutes ces hiérarchies, esthétiques, linguistiques, raciales, etc, les critères de l’Occident l’emporteront sur tous les autres. Ces hiérarchies ont été intériorisées, au niveau des individus, de la subjectivité, mais elles existent aussi au niveau des collectifs, des régions, des pays, elles sont intégrées à notre façon de penser la politique, à notre rapport à la nature, aux relations humaines. C’est pourquoi elles font partie de l’imaginaire du monde moderne.
Voilà la raison pour laquelle, dans mes travaux, lorsque je m’adresse à la gauche occidentalisée, j’insiste beaucoup sur le fait que nous ne parlons pas d’un système économique ou politique mais d’une civilisation. En effet, si nous pensons le système monde comme un système économique, toutes ces hiérarchies de pouvoir trouvent leur explication, en dernière instance, dans une determination économique. Mais si nous nous proposons de décoloniser l’économie politique, grâce à un changement dans la géographie de la raison, si nous commencons à penser depuis le Sud Global, alors, il devient clair qu’une multitude de hiérarchies de pouvoir existent au niveau global et qu’elles constituent une civilisation.
Remarquons d’ailleurs que les intellectuels critiques du Sud, qu’il s’agisse des intellectuel(le)s indigènes ou des penseur(se)s noir(e)s, des critiques islamistes ou des penseurs boudhistes, sont tous d’accord sur un point : ce système global est une civilisation, et certains la nomment la civilisation occidentale. Cela nous renvoie au fait que le système global n’est pas seulement un système économique mais quelque chose de beaucoup plus ample. C’est une civilisation qui a produit un système économique, pas un système économique qui a produit une civilisation. Une civilisation qui a détruit toutes les autres, et qui, dès la fin du XIXe siècle, a existé à l’échelle planétaire. Pour quelques rares populations du monde occidentalisé, elle produit la vie et donne accès à des privilèges. Pour toutes les autres, elle produit la mort et la violence .

C. R- Restrepo dit aussi que les post-coloniaux se référent à Foucault et aux auteurs souvent rattachés au  post-structuralisme alors que les décoloniaux seraient plus marqués par la philosophie de la libération et la théorie de la dépendance. Tu partages ce point de vue ?

R. G. Si tu lis la première partie de l’article que j’ai intitulé Decolonizing Post-colonial Studies and the Paradigms of Political-Economy, tu constateras que le début est consacré précisément à ce point : au fait que la perspective postcoloniale reproduit le privilège de l’homme occidental. Je veux parler de ce privilège épistémique de l’homme occidental, au monopole de la connaissance dont jouissent les hommes de cinq pays, qui sont les seuls à faire autorité, les seuls à être légitimes. . Ces hommes sont français, allemands, britanniques, nord-américains (et il y a aussi, mais au second plan, des Italiens). Tout bien considéré, toutes les disciplines des sciences sociales, et même les paradigmes disciplinaires de l’université occidentalisée et de la gauche occidentalisée sont fondés sur les analyses d’hommes qui appartiennent à l’un de ces cinq pays. C’est sur cette base que s’établissent les règles de la pensée critique ou scientifique dans le domaine social, historique, philosophique.
Peut-on, dans ces conditions, parler de diversité épistémique ? N’est-elle pas plutôt étouffée, et finalement détruite ? Nous, les penseurs décoloniaux, nous prenons au sérieux la question de la diversité épistémique. Nous voulons décentrer la pensée de l’homme occidental car elle s’inscrit dans ce que je nommé « une épistemologie raciste-sexiste ». Parce que l’université occidentale et la gauche occidentale renvoient seulement à la pensée de ces hommes là, parce qu’elles mettent de fait sur un plan d’infériorité ce qui se produit ailleurs dans le monde, nous pouvons parler de structures épistémiques racistes et sexistes. Et les écrivains post-coloniaux ont beau faire une critique du colonialisme, ils contribuent au maintien de cette structure épistémique, parce qu’ils fondent leurs analyses sur la pensée d’hommes de ces cinq pays. Pour l’essentiel, il s’agit de Foucault, Derrida, Lacan, Gramsci et Marx, leurs auteurs canoniques. Bien sur, Said, Spivak, Bhabha, ont dit des choses très importantes ; mais si nous nous proposons de décoloniser la connaissance, leur apport s’avère limité. Car, je le répète, si pour toi toute pensée critique se résume à ce qui a été formulé par ces hommes issus de cinq pays, tu finis nécessairement par reproduire le privilège épistemique de ces hommes-là. Voilà une critique que j’ai exposée dans divers articles. C’est un vrai problème de fond. Et ne caricaturons pas : je ne suis pas en train de dire pas qu’il ne faut pas lire Foucault, Derrida, etc. Ce serait grotesque. Je ne suis pas anti-européen, je suis anti-européocentrique (…).
Pour revenir à ta première question, il y a une autre pierre d’achoppement entre les post-coloniaux et les décoloniaux, leur vision de la modernité. Les post-coloniaux voient dans la modernité une solution : il faudrait simplement que les modernités soient diverses, plurielles, etc. Mais nous,les décoloniaux, nous voyons la modernité comme un problème. C’est une civilisation qui a créé la mort, qui élimine des êtres humains et d’autres formes de vie. Une civilisation de la mort, pas un projet d’émancipation, comme le croient les postcoloniaux. Certes, il s’agit d’un projet de civilisation, mais qui est également un projet de domination.
La différence entre les deux perspectives est donc considérable.

Entrevue réalisée en aout 2015

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Saba Mahmood : pour une anthropologie critique du « déplacement »

Saba Mahmood: toward a critical anthropology of « displacement »
Alessandra FIORENTINI et Gianfranco REBUCINI

PLAN

L’anthropologie et ses méthodes
Anthropologie et féminisme : tensions productives
Islam et anthropologie : repenser l’expérience religieuse
Anthropologie de l’éthique et pratiques corporelles

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La France aime jouer à se faire peur… mais, jusqu’à quand ?

Élections régionales. La France aime jouer à se faire peur… mais, jusqu’à quand ? Par Daniel Vanhove Dimanche soir, 13 novembre, le verdict est tombé. Le FN n’obtient aucune région. Presque tout le monde semble satisfait. Tant à gauche qu’à droite. Comme si le parti bleu-marine avait perdu, alors qu’il n’aura jamais autant d’élus aux … Lire la suite

Nous voulons vous remercier pour votre participation au Meeting: Contre l’état d’urgence, l’islamophobie et la poursuite de la guerre

Merci à tous les participants et intervenants ! Nous voulons vous remercier pour votre participation au Meeting: Contre l’état d’urgence, l’islamophobie et la poursuite de la guerre, le 13 décembre dernier à Bruxelles. Nous avons eu le plaisir d’accueillir plus de 150 participants tout au long de la journée pour écouter les 16 intervenants, belges … Lire la suite

Entretien de Frank Barat avec Naomi Klein

Tandis que les dirigeants du monde se réunissent pour « remédier » au problème du changement climatique à la Conférence de Paris, dite COP21, nous retrouvons l’essayiste canadienne Naomi Klein, auteure des ouvrages phares No Logo et La Stratégie du choc, dans les bureaux de l’un de ses éditeurs. La presse généraliste patiente à l’extérieur. Les élites, nous explique-t-elle, parlent, oui, mais ne font … Lire la suite

Week-end contre l’Islamophobie en Europe

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De Bagdad à Paris : pas de paix sans justice !

De Bagdad à Paris : pas de paix sans justice ! par Zahra Ali 2 décembre Fille d’une famille d’exilés politiques irakiens, née en France, musulmane et militante antiraciste et féministe, Zahra Ali analyse les attentats du 13 novembre – « Pendant une soirée, Paris a été Bagdad » et conclut : « Plus que jamais, on a besoin d’un mouvement … Lire la suite

Tribune d’Angela Davis pour la Marche de la Dignité

Nous vous mobilisons afin de nous rendre massivement à Paris le 31 Octobre pour faire de cette Marche un événement historique ! https://www.facebook.com/events/839779482787539/ « De Ferguson à Paris, marchons pour la dignité ! » Une transformation historique est en cours dans les métropoles occidentales. Depuis 2013, les États-Unis traversent une vague de contestation profonde des … Lire la suite

La Ligue des travailleurs noirs révolutionnaires de Détroit

 par Selim NADI, membre du PIR
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Quarante ans après sa première publication anglophone, les éditions Agone publient en français « Détroit : pas d’accord pour crever. Une révolution urbaine », une étude magistrale de Dan Georgakas1 et Marvin Surkin2.
Ce livre se penche sur les luttes révolutionnaires noires dans le Détroit du début des années 1970, et notamment sur la naissance de la Ligue des Travailleurs Révolutionnaires Noirs (L.T.R.N – créée en 1969). La L.T.R.N, inspiré par le Drum (Dodge Revolutionary Union Movement), a unifié en son sein une multitude de « RUM » (Mouvements syndicaux révolutionnaires) : « Le succès de Drum entraîna une floraison de RUM : Uprum (travailleurs à l’United Parcel Service), Hrum (travailleurs de la santé [Health]) ou encore Newrum (travailleurs du Détroit News) ». L’objectif de la L.T.R.N : proposer une approche politique de la condition raciale des ouvriers noirs, notamment dans l’industrie automobile.

Au-delà de son intérêt proprement historique, l’ouvrage témoigne d’une conjoncture politique et économique spécifique aux Non-Blancs dans de nombreux pays industrialisés, dans les années 1970. De quoi faire écho aux luttes du Mouvement des Travailleurs Arabes en France–, envisagées par Sadri Khiari comme l’une des formes les plus radicales de la résistance immigrée des années 19703 –, aux luttes des ouvriers turcs dans l’industrie automobile en Allemagne, et aux résistances des travailleurs caribéens et indiens en Grande-Bretagne à la même époque.

Ce livre offre un panorama complet de la formation de la L.T.R.N et de l’évolution de ses cadres, des problèmes stratégiques et de la lutte politique des ouvriers noirs dans le Détroit des années 1970 ainsi qu’un éclairage sur les racines économiques de l’oppression raciale aux États-Unis. Sans jamais réduire les rapports de force raciaux à une lutte de classes, l’historiographie des luttes noires aux États-Unis est un bon indicateur de la pénétration du racisme au cœur du système économique. À ce titre, l’ouvrage s’inscrit dans une lignée de travaux sur la naissance et l’évolution de la lutte des races sociales – pour reprendre l’expression de Sadri Khiari – aux États-Unis, tels que ceux de Theodore W. Allen (The Invention of the White Race, 1994) ou encore de David Roediger (How Race Survived U.S. History, 2008).

De plus, l’inscription locale de la L.T.R.N dans la ville de Détroit présente des aspects très instructifs pour les luttes anti-racistes qui se développent en France. Comme l’écrit Michael Staudenmaier dans Truth and Revolution :

 

« À la fin des années 1960, alors que de nombreux révolutionnaires nord-américains avaient tourné le dos à la classe ouvrière, trois expériences majeures apportèrent un renouveau d’attention à l’idée selon laquelle le prolétariat industriel est l’agent révolutionnaire principal : la grève générale de 1968 en France, l’« automne chaud » en Italie en 199, et les premiers succès des Revolutionary Union Movements (RUMs) et de la Ligue des Travailleurs Révolutionnaires Noirs de Détroit. »4

 

Alors qu’une large part de la gauche blanche française appelle abstraitement à la lutte des classes, l’ouvrage de Dan Georgakas et de Marvin Surkin rappelle que la question raciale et la question sociale ne s’excluent pas mutuellement, mais surtout qu’on ne peut les « articuler » théoriquement. L’expérience politique d’un groupe révolutionnaire noir dévoile les structures concrètes et les obstacles politiques (notamment des syndicats tels l’AFL-CIO) face auxquels les travailleurs noirs étaient confrontés. Loin de la condamnation traditionnelle de la question raciale accusée de « diviser » la classe ouvrière, cet ouvrage met le curseur sur les bases véritablement matérielles à l’origine de cette division. En témoigne la réalité sociale des Noirs, cantonnés à un statut de « sous-prolétaires » assignés aux tâches les plus pénibles et dangereuses.

Cet ouvrage dresse ainsi un bilan des résistances noires, partant de la Grande Rébellion de Juillet 1967, en passant par la création du journal Inner City Voice, par les diverses grèves organisées par des organisations noires, par la création de la Ligue, mais également par les nombreux combats judiciaires qu’ont dû affronter les militants ouvriers noirs

Néanmoins, l’ouvrage ne se contente pas de poser un diagnostic mais pose les bases d’une stratégie politique antiraciste. Kenneth Cockrell, l’une des figures majeures de la L.T.N.R, déclarait dans l’un des ces discours :

 

« Nous ne reprenons pas le discours habituel du militant noir occasionnel, qui pointe du doigt et dénonce ouvertement les  »chiens blancs », menace de rayer de la surface de la Terre l’intégralité de la population blanche, se tient droit, les jambes écartées, juché sur ce qui reste du monde, et proclame la beauté intrinsèque de la noirceur sans rapporter tout cela à un programme politique concret qui mette fin à l’oppression pour les peuples du monde. Nous disons le plus sérieusement du monde qu’il n’y a qu’une seule solution, et que cette solution, c’est la destruction du mécanisme d’État actuel. Le démantèlement de ce mécanisme d’État et le processus par lequel il se réalisera implique que ceux qui veulent réellement provoquer des changements révolutionnaires prennent le pouvoir d’État – et ce que nous proposons, c’est le programme de la Ligue des travailleurs noirs révolutionnaires. »5

 

Nul doute qu’une partie de la gauche blanche y trouvera le moyen d’applaudir les prouesses politiques d’ouvriers noirs se réclamant de la lutte des classes. Il reste que ce livre témoigne parfaitement des rapports intrinsèques qui lient les concepts de « races » et de « classes », sans jamais les confondre. En ceci, il permet de renseigner sur les difficultés des travailleurs noirs à imposer leurs priorités dans les partis et les syndicats de la gauche blanche dans les années 1970, époque charnière pour les luttes ouvrières. Détroit : pas d’accord pour crever s’inscrit ainsi dans la continuité de l’historiographie décoloniale, démontrant une fois encore que le « nègre docile est un mythe »6.

 

Selim NADI, membre du PIR

 

Notes

 

[1]Membre fondateur du groupe anarchiste « Up Against the Wall Motherfuckers », il est également connu pour ses poèmes et son travail d’historien. Il a notamment publié des ouvrages sur Ezra Pound, sur l’I.W.W et plus généralement sur la gauche étatsunienne.

[2]Ancien membre de la Ligue des travailleurs noirs révolutionnaires, docteur en science politique et spécialiste de politiques urbaines.

[3]Pour un panorama complet des luttes immigrées en France, voir notamment le chapitre IV, intitulé « Premières escarmouches raciales au cœur de l’Hexagone », de : Sadri KHIARI, La contre-révolution coloniale en France. De de Gaulle à Sarkozy, La Fabrique, Paris, 2009.

[4]Michael Staudenmaier, Truth and Revolution. A History of the Sojourner Truth Organization : 1969 – 1986, AK Press, Oakland, 2012, p. 42

[5]Kenneth V. Cockrel, « De la répression à la révolution », Période

[6]C.L.R. James, « Revolution and the Negro »

Source

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