Sourour
Vous imaginez qu’on interdise à une famille chrétienne, surtout si elle est blanche, de choisir l’église dans laquelle elle souhaite que se déroulent les funérailles d’une fille, d’une mère, d’une sœur ?
Vous imaginez qu’on interdise à une famille juive de choisir la synagogue dans laquelle elle souhaite que se déroulent les funérailles d’une fille, d’une mère, d’une sœur ?
Vous imaginez qu’on oblige une famille dont le défunt souhaitait être incinéré à le faire enterrer ?
Vous imaginez qu’on oblige une famille dont le défunt souhaitait être enterré à le faire incinérer ?
La réponse à toutes ses questions est, sans doute, « non ».
Dans le contexte d’islamophobie d’État aiguë qui sévit en Belgique, des interdictions et des injonctions de cet ordre peuvent se produire, et se produisent, dès lors qu’il s’agit de Musulmans.
Il semble que les autorités répressives et judiciaires bruxelloises ont décidé d’interdire la contre-autopsie du corps de Sourour demandée par la famille.
Ces mêmes autorités refusent également de remettre le corps à la famille pour qu’elle puisse lui offrir les soins rituels conformes au culte islamique avant d’être mis en bière et expédié vers sa destination finale, en Tunisie.
C’est une intensification supplémentaire des discriminations, des violences et des dénis de droit que subissent les Musulmans dans ce pays. Un traitement invraisemblable d’inhumanité qui ne provoque quasiment aucune réaction. Ni dans le champ politico-médiatique dans son ensemble, ni dans la population en général. Comme à chaque fois qu’il s’agit de défendre des opprimés, les Justes se font rares. Ceux-là, s’il y en a, seront peut-être honorés dans 70 ou 80 ans par la pose d’une petite plaque métallique devant la maison dans laquelle ils ont vécu.
La séquestration, ou à tout le moins l’appropriation du corps défunt de Sourour par les autorités belges n’est pas une première dans l’histoire récente des musulmans morts alors qu’ils étaient en détention et sous la responsabilité de la police.
Lamine
Moïse Lamine Bangoura est mort devant une caméra en 2018 à Roulers sous le poids de plusieurs policiers. Ce meurtre négrophobe restera impuni. Malgré l’existence de la vidéo montrant l’agonie et la mise à mort de Lamine, aucun des policiers ne subira de procès et la famille sera même condamnée à leur payer des indemnités pour avoir osé tenter de demander à la justice d’enquêter sur la mort de leur fils ou frère. Malgré les nombreuses interpellations faites à des députés, des ministres, les sollicitations souvent sans réponse de la presse, les rassemblements, le corps de Moïse Lamine Bangoura n’a été rendu à sa famille que plus de trois ans et demi plus tard grâce à l’intervention d’associations communautaires. La famille n’a pas pu le faire inhumer en Guinée-Conakry. Lamine a été tué comme Noir. Son corps a été traité comme Noir et Musulman.
Nous ne connaissons qu’un seul autre exemple de « justice » qui garde le contrôle sur des corps de personnes décédées sans devoir s’en justifier auprès de qui que ce soit et sans en subir la moindre conséquence. C’est la « justice » coloniale sioniste à l’œuvre en Palestine occupée.
Sabrina et Ouasim – Mehdi Bouda – Adil- Mohamed Amine Berkane – Ilyes Abbedou – Ibrahima Barrie
En Belgique les corps musulmans peuvent aussi être, de manière récurrente et sans aucune autre raison que celle d’être identifiés comme musulmans, arrêtés, obligés de s’identifier, palpés, insultés, humiliés, déshumanisés, rabaissés au statut de nuisance sociale, voire sociétale.
En Belgique, les corps musulmans, à pied ou en deux-roues, peuvent être tués à coups de pare-chocs de véhicules de police, comme c’est arrivé à Mehdi Bouda en 2019 et à Adil en 2020. Un véhicule de police peut aussi sciemment couper la route à une moto sortant d’un tunnel et mettre un terme à la vie du pilote et aussi de sa passagère, comme c’est arrivé en 2017 à Sabrina et Ouasim.
En Belgique, un corps musulman, comme un coca qu’on met au congélateur pour rapidement le refroidir, peut être complètement oublié dans un cachot par des policiers qui l’y ont incarcéré, jusqu’à ce que sa vie s’arrête, comme c’est arrivé, à trois reprises en 2021, à Mohamed Amine Berkane et Ilyes Abbedou dans le même bâtiment des forces de répression que celui où Sourour Abouda est décédée et à Ibrahima Barrie dans un autre mortifère commissariat bruxellois.
Ces violences policières, ces violences d’État, qui ne sont ni des accidents ni des bavures et qui sont bel et bien structurelles, n’entraînent quasiment jamais de poursuites contre les acteurs impliqués. Ce phénomène porte un nom : impunité. Une partie parfaitement identifiée de la population subit ce phénomène : les Arabes, les Noirs, les Rroms.
La presque totalité de la population considérée comme légitime en Belgique est partagée entre deux postures. D’un côté, chez les plus réactionnaires et chez les plus fachos, nous observons un soutien inconditionnel aux forces de répression, même si celles-ci ont potentiellement enfreint la loi et bafoué les droits humains les plus élémentaires soi-disant accordés à tout être humain. De l’autre, chez les moins réactionnaires et les moins fachos, nous observons une réaction qui n’est pas pire mais est néanmoins tout aussi répugnante que la première : l’indifférence.
Nous allons maintenant illustrer cette indifférence face aux traitements déshumanisants et parfois mortels que subissent les Musulmans dans ce pays, de la part de ce pays.
Pour ce faire, nous aborderons le sujet de la détention d’Olivier Vandecasteele en Iran. Nous sommes informés à profusion sur le sort qu’est en train de vivre ce Belge dans ce pays. Il a été arrêté sans véritable raison, ses droits n’ont pas été respectés, il n’a pas été convenablement défendu, il est maltraité, il est en mauvaise santé, il n’a droit à aucun contact avec sa famille. Que provoquent tous ces faits inacceptables dans la population belge une fois qu’elle en a pris connaissance ? Cela provoque chez elle une mobilisation massive pour exiger la fin des mauvais traitements, le respect des droits et la libération immédiate d’Olivier Vandecasteele. Nous soutenons bien entendu cette mobilisation et ces exigences.
La population n’est pas la seule à se mobiliser pour que ces exigences soient rencontrées. Les partis politiques, toutes les assemblées et gouvernements que compte ce pays, tous ses ministres, tous ses députés, toutes ses universités, tous ses médias, tout le monde culturel, bref, tout le monde se mobilise et s’insurge pour qu’il soit mis fin au traitement inhumain et à la détention d’Olivier Vandecasteele.
Si nous soutenons, comme nous l’avons dit, cette mobilisation et ces exigences, nous sommes par ailleurs, une fois de plus, abasourdis, choqués, humiliés et ne pouvons que ressentir la déshumanisation que nous infligent l’islamophobie, la négrophobie et la Rromophobie d’État quand nous comparons cette mobilisation avec (l’absence de) celle qui a existé dans d’autres cas. Des cas qui concernent des Belges. Mais pas des Belges comme Olivier Vandecasteele.
Nous allons en évoquer deux. Nizar Trabelsi et Ali Aarrass.
Nizar Trabelsi
Nizar Trabelsi a été condamné en Belgique en 2004 à 10 ans de prison pour avoir planifié une attaque terroriste contre la base militaire belge de Kleine-Brogel, base militaire où sont, illégalement, entreposées des ogives nucléaires américaines. Il a été condamné à la peine maximale prévue pour son crime. Il a fait « fond de peine », c’est-à-dire qu’il n’a bénéficié d’aucune des remises de peine ou possibilités de libération conditionnelle auxquelles il avait légalement droit étant donné son statut de « primaire », c’est-à-dire de non-récidiviste. En novembre 2008, le gouvernement américain demande son extradition. En 2013, les procédures d’appels belges étant épuisées, son avocat dépose un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci ordonne la suspension de l’extradition. À quelques semaines de la fin de sa condamnation en Belgique, il est finalement déporté le 2 octobre 2013 dans un cadre extra-judiciaire et confidentiel, sur décision de la ministre belge de l’Intérieur, l’humaniste Joëlle Milquet, vers les États-Unis d’Obama, celui qui avait promis en 2008 qu’il fermerait Guantánamo, où il encourt la perpétuité. Son avocat, mis au courant après que la déportation fut rendue effective, saisira « symboliquement », en référé, le tribunal de première instance de Bruxelles qui prononcera le 3 octobre une interdiction d’extradition tout aussi symbolique. En septembre 2014, la Cour européenne des droits de l’homme condamne la Belgique, pour violation de l’article de la Convention européenne des droits de l’homme qui interdit « les traitements inhumains », au versement de 60 000 euros pour dommage moral et 30 000 euros pour frais et dépens à Nizar Trabelsi. Le 12 septembre 2022, il y a moins de 5 mois, la Cour d’appel de Bruxelles condamne à nouveau l’État belge, ordonne une indemnisation et enjoint à la Belgique de demander le retour du Tunisien en Belgique.
Comme vous l’imaginez, de la même manière que l’État belge l’a fait des milliers de fois rien qu’en 2022 concernant les condamnations qu’il a subies pour son non-respect total des droits des demandeurs d’asile, dont beaucoup sont musulmans, le gouvernement belge s’est assis sur toutes les décisions judiciaires concernant la déportation illégale de Nizar Trabelsi vers les États-Unis. Il y est depuis bientôt 10 ans. Sans avoir eu droit à aucun procès depuis qu’il est chez l’oncle Sam. Il a simplement disparu, enfermé quelque part dans un isolement total, depuis presque 10 ans. En plus de sa disparition physique, il est quasi totalement absent, comme effacé, des multitudes de luttes menées en Belgique contre des injustices de toutes sortes. Aucun parlementaire, ni de droite ni de gauche, ne parle de lui. Encore moins de ministres bien sûr. Aucun recteur et aucune rectrice d’université non plus. Les journaux font une dépêche à la suite immédiate des condamnations judiciaires infligées à l’État belge mais ne font aucun suivi sérieux et de long-terme, n’incitent et n’encouragent aucune campagne de soutien pour exiger de l’État qu’il mette tout en œuvre pour obtenir sa libération des geôles négrophobes étasuniennes. La société civile étatique et les professionnels et carriéristes des droits humains ne font rien de sérieux non plus pour exiger sa libération. Seule une poignée d’activistes, pour la plupart d’extrême-gauche et décoloniaux, dont nous sommes, des romantiques qui défendent bénévolement et à leur risque et péril la dignité de tous les êtres humains, demandent encore Justice pour Nizar Trabelsi.
Ali Aarrass
Ali est né marocain en territoire colonial espagnol, à Melilla. Il est arrivé un peu plus tard en Belgique. Il y a accompli son service militaire et est devenu belge. Ou plutôt belgo-marocain, ça a toute son importance et fait toute la différence dans le sort, funeste, qu’il subira.
En 2008, Ali est arrêté par la police espagnole qui le soupçonne d’activité terroriste. Il est transféré de Melilla à Madrid. La Belgique, malgré les demandes de la famille d’Ali, n’intervient absolument pas auprès des autorités espagnoles pour ne fut-ce que s’enquérir du sort de son ressortissant. En effet, pour l’État belge, l’Espagne étant membre de l’UE, celle-ci ne peut évidemment que respecter les principes de droit à une défense effective et à un procès équitable pour quiconque passe entre ses mains. La Belgique s’exonère de la question en affichant une confiance aveugle dans l’appareil judiciaire espagnol. De procès en Espagne il n’y aura finalement point. Au terme de l’enquête qui est menée par « L’Audience nationale » espagnole, son président de l’époque, le fameux juge anti-ETA Baltasar Garzón, qui défend aujourd’hui Julian Assange, établit qu’aucune charge ne peut être retenue contre Ali.
Son malheur ne s’arrête malheureusement pas là. Il ne fait alors même que commencer. Au lieu de le libérer au terme de l’enquête qui l’a lavé de tout soupçon, la justice espagnole répond soudainement positivement à une demande d’extradition du corps musulman d’Ali émise par le Maroc. Le gouvernement espagnol déporte Ali au Maroc. Et ce de manière apparemment totalement incompréhensible, malgré l’interdiction expressément édictée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU basé à Genève d’extrader Ali au Maroc, pays qui, dit le Conseil, n’offre pas les garanties nécessaires à une défense effective, à un procès équitable et n’offre pas non plus de garantie d’absence de traitements inhumains. La Belgique n’intervient encore une fois d’aucune manière. Et le corps musulman d’Ali se retrouve dans les mains de l’appareil répressif du Makhzen marocain.
Après des jours et des nuits à subir des tortures de toutes les sortes imaginables, Ali finit par signer de soi-disant aveux, écrits par ses tortionnaires en arabe. Une langue qu’il ne connaît pas et qu’il est bien entendu incapable de lire. Pour faire cesser les tortures, au moins temporairement. Ali est finalement condamné à 12 ans de prison en appel. Il les passera dans un total isolement et en étant en permanence soumis à des tortures physiques et psychologiques dans des lieux de détention qui feraient passer la prison de Forest pour un 5 étoiles.
Comme pour Nizar Trabelsi, le cas d’Ali ne provoque que très peu d’émoi et de réaction en Belgique, pays dont Ali est pourtant ressortissant. Ressortissant ? Comme Olivier Vandecasteele ? Malheureusement pour Ali, la réponse à cette question est, concrètement, négative.
Comme pour Nizar Trabelsi, seule une poignée d’activistes, pour la plupart d’extrême-gauche et décoloniaux, dont nous sommes, aux côtés de sa famille et singulièrement de sa sœur Farida Aarrass, ont tenté pendant 12 ans de « faire bouger » les choses dans un sens qui respecte la citoyenneté belge d’Ali et surtout son droit à être traité dignement en tant qu’être humain.
La famille a entamé de nombreuses procédures judiciaires contre l’État belge. Comme souvent, ce dernier a fini par perdre. Du moins devant les tribunaux. En pratique, le gouvernement et son ministre des affaires étrangères, Didier Reynders, ne se sont , dans le cas d’Ali, pas contentés de s’asseoir une fois de plus sur des décisions judiciaires les condamnant. Malgré l’interdiction de déportation préalable édictée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à l’égard de l’Espagne en 2008, malgré la publication d’un rapport écrit par un médecin expert en diagnostics de torture dépêché par l’ONU sur le lieu de détention d’Ali au Maroc qui établit de manière définitive qu’Ali a bien subi des tortures nombreuses et variées durant toute sa détention, malgré les condamnations judiciaires assorties d’astreintes (jamais payées), Didier Reynders a refusé jusqu’au bout d’autoriser que la moindre aide ou assistance soit apportée à Ali Aarrass, un citoyen belge condamné injustement et enfermé dans l’isolement et les tortures au Maroc. Ali n’a même jamais eu droit à la moindre visite du consulat belge dans son lieu de détention et de torture. L’absence de visite consulaire n’était pas due à un refus des autorités marocaines. Celles-ci ne peuvent pas refuser une autorisation qui n’a jamais été demandée. L’État belge, par l’intermédiaire de Didier Reynders, s’est tout simplement lui-même interdit l’usage de son droit à faire visiter par son consul dans un pays étranger un ressortissant belge qui y est emprisonné. Didier Reynders a fait appel de toutes les décisions le condamnant à apporter assistance à Ali Aarrass. Il a refusé de payer les astreintes auxquelles l’État a été plusieurs fois condamné et que les appels ne suspendent pas. Il est allé jusqu’au bout, jusqu’en cassation, pour ne pas apporter à Ali l’assistance qui lui est due en tant que Belge.
Didier Reynders est aujourd’hui, croyez-le ou pas, Commissaire européen à ….. la Justice et au respect de l’État de droit. Il donne des leçons à la Hongrie, à la Pologne et bien sûr à l’Iran. L’UE, c’est le niveau d’élite du sens de l’humour. Encore une fois tout ceci peut paraître absolument incompréhensible. Nous pensons que ça ne l’est pas. Nous y reviendrons.
Aucun des successeurs de Didier Reynders, parti à l’Europe, n’a daigné changer de position et offrir à Ali Aarrass l’assistance minimale à laquelle il avait droit. La continuité de sa politique étrangère, comme la permanence et la pérennité du racisme d’État, sont sacro-saintes pour la Belgique. La Belgique est allée encore un peu plus loin sous le gouvernement suivant. A cause du cas d’Ali Aarrass, le parlement a voté une loi modifiant la loi sur l’assistance consulaire que le pays s’engage à apporter à ses ressortissants quand ils sont à l’étranger. La loi a été modifiée pour arriver au résultat suivant : graver dans le marbre que « les Belges binationaux n’ont droit à aucune assistance consulaire belge quand ils en ont besoin dans le pays de leur autre nationalité ». Une loi à caractère ségrégationniste de plus dans l’arsenal juridique belge. Aucune réaction notable de la société civile d’État, ni des antiracistes et des droit-de-l’hommistes professionnels du Royaume. Ni des universités, ni des médias, etc. Après tout, on a une loi de 1981 qu’on peut balancer à la face du monde et de quiconque se plaint des racismes endémiques dans le pays, en particulier dans ses institutions.
Ali a lui purgé l’intégralité de ses douze années d’enfermement et de tortures. Presque sans contacts humains autres que ceux avec ses bourreaux. Très peu de visites autorisées pour sa famille et pour ses avocats. On ne compte pas les fois où la famille a payé billets d’avion pour Rabat, chambres d’hôtel et frais d’avocats pour se retrouver devant une porte close en arrivant à la prison pour voir Ali. Sans presque jamais lui remettre son courrier et toujours en le lisant d’abord. En le punissant parfois pour le contenu de certains de ces courriers. Sans qu’aucune assistance du seul état dont il a été « sous les drapeaux » ne lui soit accordée. Ali est sorti de prison en avril 2020. Cruauté supplémentaire de l’histoire, c’était en plein confinement coronavirus. Confinement de la population mais aussi, au Maroc fermeture quasi hermétique des frontières. Les marchandises et les capitaux ont bien sûr pu continuer à circuler pendant cette période. L’activité du port de Tanger-Med, par exemple, a augmenté de 20% pendant la pandémie. Des milliers de Belges, de Marocains résidant en Belgique et de Belgo-Marocains sont restés coincés au Maroc pendant des mois. La Belgique a d’abord commencé par ne rapatrier que des Belgo-belges. Quand ça s’est vu, Goffin a cessé de les rapatrier aussi. La discrimination était trop flagrante pour continuer. Et plutôt laisser de « vrais » Belges dans la mouise que de laisser un instant croire aux binationaux et aux Marocains résidents en Belgique qu’ils peuvent espérer la moindre aide du gouvernement belge en cas de crise ou de catastrophe, qu’elle soit individuelle ou collective. Il ne pouvait tout simplement pas se permettre de créer une « jurisprudence », un cas d’école qui irait exactement dans le sens contraire à celui souhaité et mis en place par la nouvelle version de la loi sur l’assistance consulaire aux binationaux.
Ali a finalement pu quitter le Maroc le 18 juillet 2020 pour retrouver sa famille, sa femme, sa fille, après douze années d’insoutenables et d’injustifiable séparation. Il fournit des efforts admirables pour recouvrer ses forces physiques et mentales. Et il y arrive visiblement brillamment. Il est un modèle de courage et de résistance face aux injustices et au plus déshumanisant des traitements qu’un être humain puisse subir.
Parmi les invisibles parce qu’ils sont invisibilisés, Ali Aarrass, militant par la force des choses, est aujourd’hui l’une des voix les plus fortes et les plus constantes pour réclamer la libération immédiate d’Olivier Vandecasteele. Ali sait mieux que n’importe qui ce qu’Olivier est en train de subir. Nulle haine n’habite son cœur. Le calvaire qu’il a subi le pousse à se battre de toutes ses forces pour que plus personne n’ait à faire face à de tels traitements. Il est également aussi actif qu’il le peut dans la faible campagne belge de soutien à Julian Assange. Vous vous souvenez ? Le client de Baltazar Garzón.
Explications
Suprématie blanche et islamophobie planétaire.
Venons-en maintenant aux explications sur la différence de réactions et de traitement de la part de la Belgique, de son État, de sa société civile et de son peuple en général, quand il s’agit du cas d’Olivier Vandecasteele, prisonnier en Iran et otage à libérer à tout prix le plus rapidement possible d’un côté et quand il s’agit de corps musulmans, noirs ou rroms de l’autre.
Le pouvoir exécutif belge travaille d’abord et avant tout dans l’intérêt des Bourgeois, des possesseurs de capital. Cet objectif est l’horizon prioritaire de l’État Belgique depuis sa fondation en 1830. Quand on sait ça, on ne s’étonne plus d’apprendre que le roi génocidaire, Léopold II, quand il a « reçu » le Congo en 1885, en a fait une compagnie commerciale privée. 2,4 millions de km2, des millions d’êtres humains et toutes les richesses du sol et du sous-sol sont transformées en un titre de propriété individuelle. Léopold II était sans doute le plus grand propriétaire individuel d’esclaves de l’histoire de l’humanité. Tout en prétendant, comme le raconte encore le roman national belge, être venu libérer les Congolais de l’esclavagisme arabo-musulman.
Pour continuer à gaver ses bourgeois et ses capitalistes, l’exécutif belge (comme le français, l’anglais, l’allemand, l’états-unien, etc.) doit participer au pillage constant des richesses du reste du monde. Hier comme colonialiste, aujourd’hui comme impérialiste.
L’outil principal d’imposition de cette domination du monde par les européens et leurs excroissances coloniales historiques porte un nom : la SUPRÉMATIE BLANCHE. Ils détestent et rabaissent toute l’humanité non blanche depuis des siècles, en en faisant varier les motifs circonstanciels : à la couleur s’attachent la religion, mais aussi la culture ou les mœurs, le sexe, mais aussi le culinaire, etc. Il y a une chose dont ils sont certains et qu’ils veulent que le reste du monde n’oublie jamais. Ils sont le modèle. Ils sont supérieurs dans tous les aspects de la vie à tous les autres peuples du monde. S’ils perdent peu à peu leur position, ils continuent à la défendre par tous les moyens nécessaires. Hier par la colonisation et ses génocides. Aujourd’hui par un impérialisme guerrier meurtrier qui détruit des nations dont ils ont à l’époque coloniale dessiné la plupart des frontières.
Si les Juifs sont passés du statut de déicides à celui de sous-race à exterminer à celui de cofondateurs de la civilisation occidentale (je serais eux je me méfierais), si le Congo est sans doute la principale source de richesses et la principale victime (des millions de morts ces trente dernières années) du colonialisme belge et puis de l’impérialisme occidental (dont la Belgique est partie prenante), et de manière générale, l’Afrique subsaharienne, enjeu d’extraction mondiale généralisée et disputée comme « objet » disponible, si l’URSS hier et la Russie aujourd’hui sont parfois le grand méchant loup, c’est contre l’Islam et les Musulmans, en tant que menaces civilisationnelles, surtout dans le monde arabo-persique, que l’Occident mène une guerre ouverte et récurrente depuis près de mille ans et de manière permanente depuis les années 1980.
Nous n’allons pas ici énumérer toutes les guerres des 40 dernières années. Guerres qui ont provoqué des dizaines de millions de morts. Et qui continuent à en provoquer, tous les jours. Il suffit de regarder, par exemple, vers la Palestine, le Yémen ou la Syrie pour le voir. Ça se passe sous notre nez.
Ce niveau, global, d’observation et d’analyse de la place de la Belgique dans le concert des nations nous donne une première explication sur la livraison de Nizar Trabelsi aux États-Unis et l’abandon d’Ali Aarrass dans les mains du Makhzen marocain : suprématie blanche et islamophobie millénaire.
Leurs deux corps musulmans sont moins que quantité négligeable aux yeux de l’État. Et leur sort l’indiffère totalement.
La réaction de l’État à la détention d’Olivier Vandecasteele en Iran est aussi charnellement liée à ces deux facteurs : suprématie blanche et islamophobie millénaire. S’il était en prison en Israël, colonie suprémaciste européenne antisémite et islamophobe en Palestine, pour avoir « fait de l’humanitaire » en faveur du peuple palestinien, Olivier n’aurait certainement aujourd’hui que ses yeux pour pleurer.
On peut ici se demander pourquoi la Belgique n’a pas réagi de la même manière avec Ali qui lui aussi pourtant était détenu et torturé dans un pays musulman. La première réponse nous l’avons donnée. Ali n’est pas Olivier. Ali est musulman. Présumé menaçant. Ali n’est pas considéré comme un Belge légitime et à part entière.
La seconde réponse peut être trouvée en observant la position du Maroc dans le concert des nations. Le Makhzen marocain est un fidèle et loyal allié et serviteur des impérialistes. Le Maroc collabore avec l’Occident dans la « guerre contre la terreur », entreprise occidentale islamophobe de destruction du monde arabo-musulman. Centre de torture pour la CIA inclus. Le Maroc est aussi un collaborateur zélé de la liberticide et meurtrière chasse aux « migrants » menée par l’UE et ses états membres à travers l’agence de crimes de masse qu’on appelle FRONTEX. L’agence avec le plus gros budget de l’UE : 700 millions € par an pour empêcher, par tous les moyens nécessaires, l’entrée de corps non-blancs et/ou musulmans sur le sol européen. Le Maroc participe objectivement au maintien de la suprématie blanche et à l’islamophobie subie par les Musulmans à travers le monde, y compris par ses « citoyens » qui sont dans les pays du Nord. Le Maroc est un ami, on peut lui livrer Ali, qui lui, musulman, ne vaut rien face à la raison d’État.
Pour Nizar Trabelsi, c’est encore plus simple. C’est un Noir, arabe et musulman non considéré comme belge légitime, qui est livré au frère, au guide suprême de la suprématie blanche et de son impérialisme, les États-Unis d’Amérique. Le pays avec le système répressif, judiciaire et carcéral le plus négrophobe du monde. Mais Nizar ne vaut rien face à la raison d’État.
L’Iran n’est ni les États-Unis, ni le Maroc. Olivier n’est ni Nizar, ni Ali.
Nous en resterons là pour l’explication sur les différentes réactions ou non réactions, les différentes actions ou non actions de la Belgique selon la qualité de belge légitime ou pas reconnue à un détenu, et selon le lieu de sa détention. Abandon actif pour Ali, livraison pour Nizar, branle-bas de combat pour Olivier.
Pacte racial – Racisme d’État et violences policières.
Dans cette partie nous allons revenir au niveau national, en Belgique, et donner nos explications sur les différences de réactions de la population belge « en général » selon qu’il s’agit d’Olivier détenu en Iran, d’Ali torturé au Maroc ou de Sourour et Ibrahima, et les autres, tués à Bruxelles.
Nous l’avons expliqué, l’État belge a l’obligation d’être partie prenante de la suprématie blanche et de l’impérialisme occidental pour être en mesure de remplir sa mission d’enrichissement infini des bourgeois et possesseurs du capital, belges et occidentaux.
S’il a un deal avec ses bourgeois et ses élites, l’État belge a aussi deal avec le reste de sa population. Préférant l’acheter pour pas trop cher plutôt que de la maîtriser par la violence, la Belgique partage avec les Belges, légitimes, une partie des fruits issus de sa participation à la vampirisation du monde.
C’est la partie sociale du deal. Il y a une seconde partie. La partie raciale.
Maintenant, Fanon. La partie raciale du deal entre l’État belge et la partie de sa population considérée comme légitime consiste à garantir à cette dernière, en plus des avantages «socio-économiques», un statut d’être humain à part entière. Concrètement cela signifie que les conflits qui apparaissent entre l’ l’État belge et cette catégorie de la population se résolvent quasiment toujours par des négociations qui aboutissent très souvent à l’attribution de nouveaux droits ou à des progrès sur des droits déjà existants (droit des travailleurs, droits des femmes, droits des enfants, droits des homosexuels, etc.).
Fanon, encore. Ce statut d’être humain à part entière n’est pas attribué à tous. Pour créer la catégorie des « humains », la suprématie blanche et le racisme d’État ont besoin d’une catégorie de « sous-humains » ou « non humains ». En Belgique, les Congolais ont fait office de non humains par excellence puis de presqu’humains (les évolués). De manière générale, cette distance à l’humanité concerne tous les non-blancs, les Musulmans, les Rroms. Concrètement, cela signifie que les conflits qui apparaissent entre l’État belge et cette catégorie de la population se résolvent quasiment toujours par la menace et par la violence. Violence qui aboutit trop souvent à des morts. Comme celle de Sourour. Ce ne serait jamais arrivé à Bernadette ou à Viviane.
L’absence ou le manque de solidarité de la « population générale » avec Sourour, Ali ou Lamine ne s’explique pas, ou pas toujours en tout cas, par le racisme et l’islamophobie. Elle s’explique surtout par le perception rendue innée qu’a cette population légitime des avantages matériels et vitaux qu’elle retire au quotidien de cette différence de traitement par l’État belge de ses différentes catégories de populations : position socio-économique globale plus favorable et absence de menaces et de violences physiques et de mise à mort. Vu comme ça, on comprend que le deal soit difficile à casser.
Nous n’avons pas inventé ce concept de contrat « social/racial » entre les États-Nations occidentaux impérialistes et la partie considérée comme légitime de leurs populations. Vous en trouverez un développement plus ciselé et pour tout dire brillamment élaboré dans le récent livre d’Houria Bouteldja, « Beaufs et barbares – Le pari du nous » (La Fabrique, Paris, 2023).
Nous faisons nôtre ce concept car il offre un cadre qui propose des réponses rationnelles et solides, sinon irréfutables, aux questions que nous nous posons ici.
Pour que cela change, pour que nous revenions tous à un statut d’être humain « générique », des sacrifices doivent être faits. Les « non humains » ont fait et continueront à faire leur part. Les « humains » – blancs – sont-ils prêts à en faire autant ? Sont-ils en réalité prêts à en faire plus puisque ce n’est qu’en faisant le sacrifice de leurs privilèges qu’ils nous permettront de tous nous rejoindre dans une existence pacifique et solidaire, d’abord au niveau belge et puis au niveau mondial ?
C’est là une véritable utopie. Chiche ?
Conclusion – violences policières.
Tout ceci étant dit, nous conclurons en partageant notre liste non exhaustive de souhaits, recommandations, exigences, etc. (ça marche bien pour Zelenski, on ne sait jamais). Nous débutons par les enjeux de vie les plus urgents.
Dès qu’une personne meurt alors qu’elle était sous la garde de la police et que la police est donc totalement responsable de son bien-être et de sa sécurité les actes suivants devraient être accomplis :
- Ouverture immédiate d’une enquête judiciaire.
- Nomination immédiate d’un juge d’instruction.
- Test toxicologique et audition immédiate des policiers impliqués.
- Suspensions des policiers avec interdiction judiciaire de communiquer entre eux.
- Saisi et visionnage des images de caméras de surveillance du lieu d’incarcération avec la famille de la victime et ses avocats.
En amont, tous les policiers et tous les véhicules de police devraient être équipés de matériel audio-vidéo non manipulable par les policiers.
Les trajets des véhicules de police devraient aussi pouvoir être enregistrés pour que l’enquête puisse déterminer les détails de l’arrestation, le trajet accompli, les éventuels arrêts, etc. Nous imaginons que les véhicules de police sont d’ores et déjà équipés de puce GPS. Nous n’imaginons pas qu’étant données les technologies disponibles aujourd’hui la police prenne le risque, aussi infime soit-il, de perdre un de ses véhicules dans la nature.
Nous demandons aussi qu’une procédure de comparution immédiate devant le tribunal correctionnel soit rendue possible par la loi dans les cas de crimes policiers. La loi prévoit déjà des cas de comparution immédiate. Des cas qui impliquent rarement la mort d’un être humain. Nous pensons donc que quand c’est de cela qu’il s’agit, de la mort d’un être humain dans ce qui devrait être un endroit parfaitement sécurisé, la possibilité d’une comparution immédiate des accusés est justifiée et souhaitable.
En attendant, que faire pour aider et soutenir les familles ?
On peut suivre les pages de soutien sur les réseaux sociaux et partager les publications de ces pages. C’est bien mais bien sûr insuffisant. On doit aussi aider financièrement les familles, si on le peut. On doit être présents aux rassemblements organisés par les familles. C’est déjà là un acte politique. Le nombre envoie un message clair au pouvoir et à la Justice. Plus nous sommes nombreux, plus le pouvoir est poussé à nous écouter. C’est basique.
Autre acte politique très simple : écrire aux autorités concernées. Rien n’interdit d’envoyer un courrier ou un email. Pour Sourour, écrire aux deux bourgmestres concernés, écrire au parquet, écrire au comité P, écrire aux députés que nous avons élus, écrire à nos sources d’informations.
Inutile d’écrire de grands discours politiques ou juridiques. L’objectif est simplement d’acter notre volonté de connaître la vérité et que justice soit rendue. Pour Sourour, et pour les autres. Pour qu’ils et elles ne meurent pas une deuxième fois, dans l’indifférence et l’oubli, dans la négation de leur dignité d’êtres humains.
Mouhad Reghif et Nordine Saïdi pour Bruxelles Panthères
Brillant, merci pour ce texte !
Magnifique